Scarlette Le Corre (Fr)

Location
Le Guilvinec
FRANCE
First meeting
2012, Oct 30th
Last update
Keywords
Seaweed culture, fisheries, food products

Par rapport à toutes ces innovations dont on parle actuellement, je me demande comment on ne s'est pas intéressé plus tôt aux algues pour faire tout ça ! Vu les capacités et tout ce qu'il y a dans les algues, je ne comprends pas qu'on soit allé faire des choses compliquées alors qu'on avait tout sous la main. Ca me dépasse qu'après avoir tout abimé, tout pollué, empoisonné les gens, qu'on arrive maintenant à la conclusion de ce qu'on aurait dû faire depuis le départ !

Vous cherchez le secret de la potion magique d’Astérix ? Allez donc faire un tour du côté du Guilvinec dans le Finistère (France) : vous trouverez des indices dans la boutique de Scarlette Le Corre. Même si tous les adjectifs d’hyperactivité ont déjà été utilisés pour parler de la druidesse des algues, vous serez étonnés par l’énergie de l’invincible bretonne.

Ses parents, respectivement marin et agricultrice, étaient aussi goémoniers et récoltaient les algues pour l’industrie. Depuis toute petite, Scarlette les a accompagnés sur l’estran et l’océan mais, si elle ressent très tôt l’appel du large et du métier de marin-pêcheur, ses parents refusent l’option de la voir prendre la mer. Elle tiendra un bar, sera esthéticienne, voyagera sur le navire de commerce de son mari, aura trois enfants… avant de réaliser sa vocation à 28 ans.

Seule en mer sur son bateau “Mon copain JP” depuis 1983, Scarlette réalise une formation d’aquaculture en 1988. Parmi les enseignants, Pierre Mollo, spécialiste du plancton, parle des algues, cet “aliment du futur”. Il n’en faut pas plus à Scarlette pour revenir à ces plantes marines qu’elle connaît si bien, mais pour les transformer en produits d’épicerie fine cette fois !

Marin-pêcheur, algocultrice, élue porte-parole du comité des pêches du Guilvinec, chef d’entreprise, mère de 3 enfants, Scarlette Le Corre est une passionnée au caractère bien trempé et à la personnalité très attachante qui a encouragé la Route des Algonautes depuis le début.

La première fois que nous nous sommes rencontrées, nous avons discuté tout en préparant de la confiture de wakamé. Si vous n’en avez pas encore sur la table de votre petit déjeuner, il est temps de vous en procurer, le futur des algues c’est maintenant !

La pêche et la culture d’algues

Bon moi je suis marin, tu vois mon bateau, c’est un petit bateau. Et puis en hiver, je ne peux pas aller lutter comme les autres, donc il fallait que je trouve une activité économique différente, qui me permette de gagner ma vie en hiver. D’où les algues, parce que les algues correspondaient à des périodes transitoires entre les différentes pêcheries et donc pour moi, ça correspondait vraiment bien à ce que j’avais envie de faire. En même temps ça me permettait de faire vivre mon entreprise toute l’année. C’est la raison principale.

Après ma formation d’aquaculture en 1988, j’ai commencé les cultures d’algues en 1992. Le temps d’obtenir mes concessions et tout, ça a pris quelques années. Et j’ai ensuite commencé la transformation avec mes algues et mes poissons (parce que c’est toujours pareil : au départ on vent à des grossistes et puis on s’aperçoit vite que c’est comme pour le prix du cochon, ils vous donnent le prix qu’ils ont envie sous prétexte des cours du marché, c’est à dire à un prix où je vendais moins cher que mon prix de revient !).

La relation à l’algue

J’ai toujours aimé les algues car mes parents étaient gémoniers. Lorsque j’étais gamine, Papa nous soignait tout le temps avec les algues : les fractures, les entorses, etc. Les algues faisaient déjà partie de mon environnement mais sans penser qu’un jour je les aurais manger en légumes. Je les mangeais d’autres façons mais pas en légumes. J’ai découvert les algues en légumes progressivement.

Pour vendre mon produit, j’ai dû créer, chercher à m’adapter pour en faire des produits que tout le monde allait pouvoir manger. J’ai fait des voyages d’étude au Japon pour regarder comment ils les mangeaient mais en me disant que les français au quotidien ne mangeraient jamais comme les japonais donc il me fallait transformer les idées pour les travailler différemment, pour faire des produits adaptés aux habitudes alimentaires des français et des européens.

Et tout d’abord, avant de dire que les algues c’est bon pour la santé, de dire qu’on va manger des algues parce que ceci ou parce que cela, pour moi, le plus important c’est avant tout que les gens aient du plaisir en mangeant. Comme ça ils viennent naturellement vers les algues plutôt que de s’obliger à manger des algues parce que c’est bon pour la santé. Si c’est considéré comme un médicament, on le prend un mois, on ne le prend pas tout le temps après ! Je me suis dit que c’était le secret pour réussir dans les algues, c’était d’amener du plaisir en bouche.

Je mange des algues tous les jours. C’est mon petit-déjeuner le matin les algues ! J’ai toujours eu la patate mais ça m’entretient on va dire.

Quand j’ai développé l’activité algue, on m’a prise pour une folle (on me prend d’ailleurs un peu toujours pour une folle, mais enfin bon..), il n’y a pas d’autres mots !

La journée type de Scarlette

Le matin je vais normalement en mer. Une fois que j’ai été en mer, je vais mettre tout mon matériel en pêche tout ça, je vais relever. Après je file au marché et l’après-midi, je vais au magasin où je transforme, je sers les clients, je transforme, enfin voilà. Et puis je retourne en mer le soir.

Les algues de Scarlette

Il y a une partie qui est en culture : je cultive la wakamé (Undaria pinnatifida) en pleine mer. Les autres espèces, elles existent naturellement dans le milieu, c’est la nature qui nous les donne. Je ne travaille que les algues du pays, je ne travaille pas les algues d’ailleurs.

La confiture de wakamé

J’ai commencé à faire de la confiture de wakame il ya longtemps. Avant je n’arrivais pas à la vendre, aujourd’hui ce n’est pas assez ! Tu vois, il y a une évolution qui est quand même relativement rapide. Maintenant je n’en fournit pas assez, je suis tout le temps en rupture de stock avec la confiture de wakamé. L’évolution des goûts, ça bouge beaucoup ! Il faut que les gens franchissent le pas de vouloir goûter. A partir du moment où ils ont goûté, on arrive à les convaincre !

Quand l’image de l’algue est négative…

Quelqu’un qui aurait une image négative de l’algue ? Ben c’est qu’ils connaissent pas mes algues ! Non mais c’est pas une blague ! Quelqu’un qui dit qu’il n’aime pas les algues c’est peut-être parce qu’il n’a jamais goûté à mes algues. J’ai bluffé des grands chefs de cuisine avec mes algues, il y a une raison !

Ce qu’il faut dire aujourd’hui aux gens, c’est de ne pas avoir peur des algues ! L’algue est une amie et non une ennemie. Manger des algues, ça nous apporte non seulement des oligoéléments, des minéraux et tout ça, c’est aussi quelque chose d’extraordinaire pour le plaisir du palais. C’est drôlement bon selon comment c’est cuisiné, il n’y a pas que les grands cuisiniers.

Les algues sont à l’origine de la vie sur Terre : par exemple les algues vertes sont l’origine de toute la végétation terrestre. J’avais un ami qui s’appelait Jean : eh bien Jean il parlait des algues en disant “nos cousines les algues”. Je pense qu’il avait raison, tout le monde se moquait de lui alors qu’il était dans la vérité quoi ! Mais il était en avance sur son temps : quand on est en avance sur son temps et quand les gens ne connaissent pas, ils sont méfiants. Mais aujourd’hui, le public est beaucoup plus sensible aux algues qui ne l’a été par le passé.

Bioremédiation, biocarburants, algoplastiques, etc. que penses tu de toutes ces innovations ?

Par rapport à toutes ces innovations dont on parle actuellement, je me demande comment on ne s’est pas intéressé plus tôt aux algues pour faire tout ça ! Vu les capacités et tout ce qu’il y a dans les algues, je ne comprends pas qu’on soit allé faire des choses compliquées alors qu’on avait tout sous la main. Ca me dépasse qu’après avoir tout abimé, tout pollué, empoisonné les gens, qu’on arrive maintenant à la conclusion de ce qu’on aurait dû faire depuis le départ !

Challenges

Je fais face à des difficultés énormes mais qui ne sont pas dues à mon activité proprement dite. Elles sont dues à des problèmes autres tels que le fait d’être une femme, de diriger une entreprise et d’être seule du coup, je suis un sujet à risque. Je ne suis pas seulement au niveau de l’entreprise mais au niveau financier. Depuis que mon mari est malade, les banques m’ont fermé les pompes du jour au lendemain, d’où de gros problèmes. Je suis une femme, dans un milieu dit d’hommes, les banques ne me font pas confiance du tout.
Depuis 2005, je me bagarre pour garder la tête hors de l’eau. Ils me disaient que c’était ission impossible, je leur ai démontré que non !

Le problème qu’il y a c’est qu’il faut beaucoup d’argent. Je voulais vendre parce que je suis quand même en retraite depuis 2010, faut pas oublier. Ca ne s’est pas fait car premièrement, c’est une histoire de stock. J’ai un stock énorme parce que je travaille des produits de saison. Il faut avoir de l’algue toute l’année. Pour avoir de l’algue toute l’année, il faut que je stocke. Pour stocker, il faut des finances et c’est ce qui effraie les gens, c’est de l’argent qui dort pendant au minimum 6 mois, c’est 6 mois, un an. Une activité de 3-4 jours du mois de mars, il faut que ça dure jusqu’au mois de mars de l’année suivante. C’est comme les vins. J’ai un stock qui dort toute cette période là. Je n’ai pas le choix : j’ai la qualité du produit et vous avez le produit, ou je vous fais des choses d’ailleurs qui n’ont plus rien à voir… Une des difficultés vient de la saisonnalité des algues qui nous obligent à avoir du stock toute l’année.

Message pour la jeunesse

Anne-Gaëlle: Que dirais-tu à un enfant de 8 ans qui est affecté par la perspective d’un avenir avec le changement climatique, les pollutions, la perte de biodiversité, la crise énergétique ou la surpopulation?

Le développement des algues c’est trsè important car les algues peuvent nourrir la planète, même si on multiplie le nombre d’humains sur la planète de façon impressionnante.

Les algues ramassent toute la pollution et la transforme en bon. Ici, nous avons la chance d’être dans l’air le plus pur d’Europe grâce aux champs de laminaires qu’on a au pied du phare d’Ekhmühl (mesuré et quantifié en haut du phare !). L’algue n’est que bonheur partout où elle est : elle a des propriétés extra ordinaires. Si on vit sur notre planète c’est grâce aux algues. Si je me bagarre aujourd’hui, si j’ai tenu bon et que je garde la tête hors de l’eau c’est pour donner un avenir à nos enfants !


Quoi de neuf ? Actualités 2017

En attendant de retrouver Scarlette Le Corre pour une mise à jour d’Algonaute lors d’un prochain passage au Guilvinec, découvrez ces portraits vidéos de 2017 diffusés dans les média nationaux.

  • France 2 le 19 août 2017 : A la pêche aux algues alimentaires bretonnes avec Scarlette

Version intégrale

  • Mars 2017 : Portrait de Scarlette Le Corre dans la série “Moi électeur” sur Le ParisienTV à l’occasion des élections présidentielles 2017 :

Pour plus d’informations

Le site de Scarlette Le Corre