No fouling!

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Quand j’ai entendu parler de fouling, je m’attendais à un truc un peu romantique. Mais ça c’était “feeling” pas “fouling” ! Le terme fouling en anglais peut être traduit par tout ce qui est « salissure ». Il sert notamment à désigner les déjections canines ! Je ne vais pas m’étendre sur ce fouling là… Celui qui a attiré notre attention c’est le biofouling marin.

“Le biofouling marin ou les salissures marines, m’a dit Anne-Gaëlle. Les Algonautes que nous allons rencontrer travaillent sur l’élaboration de nouvelles formulations de peintures pour l’industrie nautique.”

Je ne vois pas du tout le rapport entre une peinture pour bateaux et une algue…

Nous avons rencontré Claire Hellio en 2011 à l’Université de Portsmouth en Angleterre. Claire est originaire de Concarneau où elle a réalisé une thèse à la Station de Biologie Marine du Muséum National d’Histoire Naturelle. Ses recherches portent sur les composés à activité antifouling des algues.

Qu’est ce que le fouling marin ?

  • Claire : Jacqueline, tu sais, dès qu’une surface est immergée dans l’eau, au bout de quelques minutes elle va être colonisée par un film de bactéries et de microalgues. Ce film attire ensuite d’autres organismes, des spores de macroalgues par exemple. Ces algues vont grandir, puis des invertébrés comme les balanes, les huîtres et les moules vont venir se fixer. Cette couche d’organismes qui colonise les coques de bateaux est appelée biofouling.

  • Jacqueline : Je ne savais pas que les huîtres et les moules faisaient du bateau-stop pour voyager.

  • Claire : Tu viens justement de pointer un problème ! Les organismes marins collés sur la coque vont être transportés dans un nouvel environnement. Si les conditions à destination leur sont favorables, ces espèces peuvent se reproduire et coloniser de nouveaux environnements avec des conséquences potentiellement très négatives. Leur introduction peut bouleverser l’écosystème local et perturber les espèces autochtones, c’est à dire les espèces natives de la région. En Bretagne par exemple, sur nos côtes, on trouve des espèces originaires d’autres régions du monde dont certaines deviennent invasives : c’est le cas de la crépidule chez les mollusques et de la sargasse Sargassum muticum chez les algues par exemple.

  • Jacqueline : La sargasse, je la connais ! (mais je ne pensais pas que ça s’écrivait comme ça…). J’en ai entendu parler sur le port à Douarnenez: elle peut proliférer et s’amasser dans les filets jusqu’à gêner la navigation dans certains endroits.

Les problèmes liés au fouling



Claire m’explique les problèmes liés au fouling pour les activités maritimes. La colonisation des surfaces par les organismes du fouling peut entraîner l’augmentation de poids très conséquente des structures colonisées : cela peut même aller jusqu’à faire couler les infrastructures maritimes ! S’il s’agit d’une balise flottante de signalisation ou de relevé météorologique, cela pose des problèmes de sécurité en mer ! Mais surtout, le fouling a un coût.

  • Claire : Imagine un super tanker qui transporte des marchandises et qui a par exemple 10 jours pour traverser l’Atlantique et arriver au port de New York. La couche d’organismes qui se développe sur la coque va créer de nombreuses frictions qui vont faire diminuer la vitesse du bateau. Pour arriver à l’heure prévue et de ce fait maintenir sa vitesse, la bateau va devoir consommer beaucoup plus de carburant. Aujourd’hui près de 80% de marchandises sont transportées par voie maritime et ce problème de fouling peut donc entraîner une augmentation des coûts globaux du transport des marchandises. Cela représente un problème économique. Mais ce n’est pas tout ! En engendrant une consommation supérieure de fuel par les bateaux,le fouling va également causer une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, d’où un problème environnemental.

  • Jacqueline : Je vois… Mais qu’est ce qu’il faut faire alors ? Il faut nettoyer les bateaux et les balises à chaque fois ?

  • Claire : Pour éviter tous ces problèmes, des peintures dites antifouling sont appliquées pour protéger les coques de bateaux contre cette colonisation par les organismes. Jusqu’en 2008 des peintures très actives étaient utilisées. Une vraie formule magique ! Il suffisait de peindre les bateaux tous les 8-10 ans, ils restaient très propres.

  • Jacqueline : Super !

  • Claire: Malheureusement non : ces peintures étaient extrêmement actives mais aussi extrêmement toxiques ! Elles étaient formulées avec du tributhyletain (TBT) qui est un métal lourd. Des chercheurs de l’IFREMER à Arcachon et ensuite de l’université de Brest ont mis en évidence que ces peintures à l’étain causaient des malformations de la coquille d’huître et des manifestations de changements de sexe chez des coquillages, dont le pourpre Nucella lapidus.

  • Jacqueline : Des changements de sexe ?!! Comment est-ce possible sans chirurgie ?

  • Claire : Chez les gastéropodes, on appelle cela l’imposex. Le TBT est va agir comme une hormone chez ce bigorneau : c’est un perturbateur endocrinien. Les femelles se masculinisent avec apparition d’organes génitaux mâles. Les Français ont été les premiers à interdire les peintures à l’étain. Au départ cette réglementation était valable seulement pour les bateaux de plaisance, puis pour tous les bateaux. Par la suite, d’autres pays se sont ralliés à cette législation et aujourd’hui les peintures à l’étain sont bannies au niveau mondial. Actuellement, les formulations des peintures intègrent du cuivre et des biocides en remplacement, malheureusement le cuivre et les biocides sont également toxiques

  • Jacqueline : C’est bien ce que je dis tout le temps… ça ne marchera jamais !

Les algues, source d’inspiration et de solutions

“Claire : Attends Jacqueline ! J’en arrive au sujet sur lequel nous travaillons. Au laboratoire, nous essayons de développer de nouvelles solutions antifouling pour peindre les coques de bateaux avec des formulations plus respectueuses de l’environnement. Pour cela, on essaie de copier ce qui se fait dans le milieu marin ! Regarde les macroalgues par exemple : ce sont des organismes fixés, ce qui les rend très vulnérables. Si un prédateur arrive, un herbivore en l’occurrence comme un oursin ou un ormeau, elles ne peuvent pas s’enfuir en nageant, elles sont coincées là ! De plus, ce sont des organismes mous, elles n’ont pas de défenses physiques. Et pourtant certaines algues sont propres : aucun organisme ne se colle sur elles ! Certaines repoussent même les brouteurs. A travers nos recherches, nous essayons de comprendre comment les algues arrivent à se défendre contres les autres colonisateurs. Si nous comprenons bien le phénomène, nous pouvons ensuite l’appliquer à des biotechnologies marines et formuler une peinture qui reproduirait l’effet inhibiteur de l’algue sur les autre organismes””.

De l’algue à la peinture

Ah le voilà le lien avec les algues ! Mais comment peut on bien transformer une algue en peinture ?

  • Claire : Nous ne transformons pas toute l’algue en peinture mais nous recherchons les composés qui ont cette activité antifouling. Concrètement :
    • nous récoltons des algues sur lesquelles rien ne pousse : ce sont des algues dites « propres » ;
    • Ensuite nous faisons ce que nous appelons des extractions chimiques pour essayer d’obtenir les substances marines qui sont contenues dans ces algues ;
    • Une fois que nous avons un extrait, nous faisons des tests en laboratoire pour vérifier l’efficacité de la molécule. A l’échelle du laboratoire, nous pouvons voir on si l’extrait ou le mélange de produits peut empêcher la croissance des bactéries, des microalgues marines, des macroalgues marines et des balanes. Les balanes, ce sont ces tout petits crustacés blancs en forme de petits volcans que l’on peut voir sur les rochers (et qui font mal aux pieds lorsque l’on marche dessus).
    • Une fois que nous avons un produit qui donne de bons résultats en laboratoire, l’étape suivante consiste à travailler avec des spécialistes industriels de la peinture : nous faisons alors une formulation contenant la substance naturelle et nous faisons des essais en mer. Pour cela, nous peignons des petits panneaux que nous plongeons dans l’eau et nous regardons si les organismes du fouling s’attachent ou non.
  • Jacqueline : Est-ce que vous avez trouvé des solutions ?

  • Claire : Il y a des produits alternatifs mais les procédures de mise sur le marché de nouveaux produits sont très longs et très coûteux. Heureusement nous menons ces travaux en collaboration avec plusieurs équipes à travers le monde : certains travaillent sur les macroalgues, d’autres sur les microalgues, et les tests que nous utilisons sont complémentaires. Les molécules identifiées ont parfois un potentiel qui dépassent les applications antifouling ! Ce monde de l’invisible est passionnant !

Le potentiel de l’écologie chimique des algues

Nous avons eu l’opportunité de poursuivre cette discussion avec des collègues de Claire. Lors de notre passage au Brésil à Rio de Janeiro, nous avons traversé la baie pour rejoindre l’université Fluminense à Niteroi et rencontrer Bernardo Da Gama qui mène des recherches sur l’écologie chimique des algues. C’est fascinant, jetez donc un coup d’oeil à la bande annonce ci-dessous pour avoir une idée du sujet !



  • Bernardo : Quand on regarde les algues, on pourrait avoir l’impression qu’elles sont fixées au fond et qu’elles ne font pas grand choses mais Jacqueline, tu n’imagines pas : c’est une véritable guerre chimique qui se déroule sous l’eau ! Il y a énormément d’activité là-dessous : elles doivent se défendre contre les herbivores, contre les épiphytes1, elles sont en compétition avec les autres algues pour l’espace, pour la lumière, etc. Pour faire face à tout ce stress, elles utilisent des composés chimiques. Les algues sont d’excellentes chimistes et elles produisent plein de molécules différentes : par exemple, les algues rouges du genre Laurencia produisent plus de 500 composés ! Nous voulons découvrir pourquoi elles produisent tellement de composés et si ceux-ci pourraient nous être utiles. Il peut y avoir beaucoup d’applications basées sur des propriétés antibactériennes, antivirales, antitumorales, etc. Par exemple, il y a beaucoup de potentiel dans le domaine de la santé pour fabriquer de nouveaux médicaments notamment contre les virus dont le HIV. Ici, dans l’équipe nous travaillons principalement sur les composés antifouling et les composés antioxydants.

  • Jacqueline : J’ai déjà entendu parlé d’antioxydants… au rayon cosmétique !

  • Bernardo : La cosmétique est un des secteurs qui s’intéresse beaucoup aux composés actifs des extraits des algues. Les antioxydants sont également bons pour la santé car ils jouent un rôle protecteur des cellules. En ce qui concerne les composés antifouling, les applications industrielles sont larges et l’enjeu est de trouver des molécules qui soient répulsives mais non toxiques envers de nombreuses espèces. Nous voulons les empêcher de se fixer, mais pas les tuer, sinon cela reviendrait à causer une nouvelle pollution !

  • Jacqueline : Eh bien, il va en falloir des algues pour peindre les bateaux !

  • Bernardo : C’est un autre enjeu important : si tu récoltais toutes les algues de la baie de Rio, tu n’aurais peut-être même pas de quoi peindre un seul bateau ! Les concentrations en composés sont faibles dans l’algue. Comment faire alors pour obtenir assez de produit ? Deux options : produire la biomasse d’algues et à en extraire les composés chimiques ou fabriquer la molécule active identifiée par synthèse chimique ou biotechnologie. Chacune des options a son lot d’avantages, d’inconvénients et de défis à relever !

En effet que de défis pour trouver les solutions respectueuses de l’environnement ! Heureusement, les différentes équipes de recherche à travers le monde travaillent d’arrache-pied et en réseau. En parlant de réseau, plusieurs Algonautes m’ont confié que les meilleures collaborations sont celles qui se mettent en place autour d’un verre ! Tiens, au fait, il y a des antioxydants dans le vin2 aussi !

Adapté à partir des entretiens avec Pr. Claire Hellio et Pr. Bernardo Da Gama

En savoir plus
  1. Un épibionte est un organisme qui vit à la surface d’un autre organisme. Lorsque cette colonisation se produit à la surface d’une plante, l’épibionte est un épiphyte. Bien que cette interaction biologique soit supposée être sans bénéfice ni inconvénient pour l’hôte (à la différence du parasitisme), elle peut avoir un impact indirect sur l’absorption des nutriments ou l’accès à la lumière par exemple. 

  2. Mais pas que ! L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération