Super Spiruline
Spiruline. Ce mot me semblait familier, peut-être parce qu’il me faisait penser à des prénoms que j’aime bien comme Joséphine, Ernestine ou Jacqueline par exemple !
C’est dans le sud de l’Inde que je l’ai rencontrée pour la première fois. Anne-Gaëlle m’avait emmenée dans une antenne d’Antenna Technologies à Madurai (Tami nadu).
Antenna Technologies est une ONG (Organisation Non Gouvernementale). Cette organisation entreprend et favorise la recherche et le développement de technologies simples, durables et peu coûteuses répondant aux besoins des populations les plus pauvres : celles-ci disposent ainsi des moyens d’améliorer elles-mêmes leurs conditions de vie. Ces actions concernent l’accès à l’eau potable, à une alimentation diversifiée, à un réseau électrique ou aux médicaments. Les travaux sont menés en collaboration avec un réseau international de scientifiques. Ici dans le Tamil nadu, Antenna Technologies a mis en place un centre de production et de recherche sur la spiruline, le Spirulina Production Research and Training Center (SPRTC).
La spiruline entre en scène
Sous le ciel bleu et les palmiers de Madurai, j’ai l’impression d’entrer dans un parc où les parcelles de gazon seraient remplacées par des bassins au vert intense. Ce sont des bassins de culture de spiruline, une algue microscopique.
Je rencontre Arthi. Elle est en charge de la production et m’explique qu’ici la spiruline est un outil qui sert à lutter contre la malnutrition ! Avant de m’en dire plus, elle me fait découvrir les lieux.
Le SPRTC joue un rôle social pour l’émancipation des femmes : après avoir suivi une formation, des femmes originaires des villages alentours sont employées pour assurer la production de spiruline. Mise en culture, agitation, récolte, elles m’expliquent leur façon de procéder.
Après avoir filtré la suspension verte, l’une d’entre elles me tend une matière pâteuse. Vraiment, ça se mange ça ? Ce n’est pas très ragoûtant…
Arthi m’explique alors que la spiruline peut être conditionnée sous différentes formes après séchage : en paillettes, en poudre, en friandise, etc.
En friandise ? Oui, dans ce centre, le produit phare est une friandise à la spiruline distribuée aux enfants de 2 à 7 ans des environs afin de prévenir les carences et de lutter contre la malnutrition.
Une microalgue contre la malnutrition ? Cela semble incroyable. Il est temps d’entrer un peu plus dans le vif du sujet.
Alors cette spiruline, algue ou bactérie ?
Le terme spiruline désigne plusieurs espèces appartenant aux genres1 Spirulina ou Arthrospira2. Ici à Madurai, l’espèce cultivée est une variété indienne : Arthrospira platensis var lonar3.
La spiruline est algue bleue. Est-ce que cela aurait quelque chose à voir avec les algues Schtroumpf qu’avait évoquées Anne-Gaëlle ? J’entends aussi parler de cyanobactérie. J’ai besoin de clarifier quelque chose : la spiruline, c’est une algue ou une bactérie ?
Bien joué Jacqueline ! Vu les sourires que ma question suscite, je crois que j’ai posé une question intelligente !
Arti m’emmène dans le laboratoire et me propose de me pencher au dessus du microscope. Je découvre un spectacle magnifique : sous mes yeux, des filaments spiralés verts fluo ondulent et tournent sur eux mêmes ! Ce liquide vert contient donc ces jolies spirales, quel dommage de ne pouvoir les voir à l’œil nu. Ces éléments planctoniques4 réservent des surprises artistiques !
Ces très petits organismes vivants (microorganismes) contiennent une molécule appelée chlorophylle. C’est celle-ci qui donne la couleur verte et permet à cette forme de vie de réaliser la photosynthèse. Ces microorganismes se developpent en milieu aquatique, que ce soit de l’eau douce, de l’eau de mer ou des eaux saumâtres. Voilà pourquoi initialement la spiruline était considérée comme une algue.
Mais ensuite, au début des années 60, la communauté scientifique internationale a adopté une classification des organismes vivants et fossiles faisant la distinction entre les procaryotes et les eucaryotes : en gros, la différence entre les deux peut être résumée par “la cellule eucaryote est super complexe par rapport à la cellule procaryote !” (si vous voulez en savoir un peu plus, jetez un coup d’oeil à la note de fin de page n°55 !). Des analyses furent menées. Elles conduirent à la découverte de faits. Ceux-ci prouvent - sans alternative - que la spiruline a les propriétés des procaryotes. Les algues quant à elles sont des eucaryotes !
Au sein de ces procaryotes, la spiruline appartient à un groupe particulier de microorganismes appelés les cyanobactéries. Si vous voulez en savoir plus sur l’origine de ce nom, rendez-vous à la note de fin de page n°66.
La spiruline est donc une bactérie au comportement de cellule végétale. Si je comprends bien, scientifiquement la spiruline est une bactérie, commercialement elle est plutôt considérée comme une microalgue ! Allez, appelons la par son nom et ça sera plus simple : la spiruline est une cyanobactérie. Bon ce qui m’intéresse à présent c’est d’en savoir plus sur les propriétés nutritionnelles de ce “super-aliment”.
En lice pour le titre d’aliment le plus complet de la Terre ?
La spiruline présente des qualités nutritionnelles exceptionnelles. Outre le fait qu’elle ait un très fort taux de protéines (entre 55 et 70% de son poids secs), son intéret réside dans la diversité de son contenu en acides gras essentiels, en acides aminés, en vitamines, en oligoéléments, en minéraux, en enzymes, en coenzymes, etc. (FAO, 2008; Vidalo, 2008). La spiruline serait un des aliments les plus complets à la surface de la Terre !
J’ai ainsi appris que cette nourriture est connue et traditionnellement utilisée depuis des millénaires dans certaines régions du monde. Au XVIe siècle, quand les espagnols sont arrivés en Amérique centrale à Mexico, ils ont découvert que les Aztèques récoltaient dans les lacs une boue verte appelée “tecuitlatl” et qu’ils en faisaient des petits gâteaux bleu-verts. D’après certaines légendes, la spiruline était une source d’alimentation importante pour des coursiers marathoniens de l’époque !
En Afrique, le peuple Kanembou récolte la spiruline sur les rives du lac Tchad. Après séchage au soleil, ils réalisent des galettes de spiruline (appelées “dihé”), utilisées dans la cuisine ou consommées directement dans près de 70% de leur repas.
Super Spiruline contre la malnutrition
Mais revenons à nos bassins en Inde ! Arthi nous explique que c’est le contenu en micro-éléments de la spiruline qui est utilisée pour lutter contre les carences : un gramme de spiruline fournirait un apport en micro-éléments équivalent à celui apporté par la consommation d’un kilo de fruits et légumes assortis.
Depuis près de 20 ans, le SPRTC a distribué de la spiruline sous forme de friandises à plus de 20 000 enfants de 2 à 7 ans. Les enfants reçoivent 1g de spiruline pendant une durée de 6 mois à un an. La distribution s’effectue à travers l’école, des groupes d’entraide ou des volontaires. Ce gramme de spiruline couvre intégralement les besoins en micro-éléments des enfants7. Et en plus, les friandises font la langue verte ! Drôle et bon pour le santé, c’est le bonbon rêvé pour les grands et les petits !
Arthi nous parle du pouvoir de la spiruline et de son potentiel pour répondre aux carences largement répandues à travers le monde telles que les déficiences en fer ou en vitamine A.
Le fer pour être absorbé doit être associé à une combinaison de vitamines. Celles-ci sont souvent détruites ou endommagées par la cuisson des aliments. Consommée sans traitement et sans cuisson, le fer de la spiruline est donc mieux absorbé.
Dans le cas des carences en vitamine A, les complémentations peuvent entraîner des surdosages et des effets secondaires. La spiruline contient des beta-carotènes, précurseur de la vitamine A (provitamine A). Cette forme est très bien assimilée par l’organisme et, dans ce cas, pas de risque de surdosage car tout surplus sera converti en un composé utile pour la santé (comme des composés antioxydants par exemple).
En plus de ses qualités nutritionnelles, elle a aussi une forte productivité mais comme toute culture végétale, la qualité de la spiruline produite dépend des modes de production. Notre santé dépend de la santé de l’environnement dans lequel nous cultivons nos aliments, ça vaut pour la spiruline aussi !
Et elle a encore plus de superpouvoirs !
En France, jusqu’à il y a peu, la spiruline était surtout connue en comprimés ou en gélules comme complément alimentaire. Depuis quelques années, de plus en plus de fermes de spiruline s’installent sur tout le territoire. LA spiruline poussera bientôt sur nos toits, comme c’est le cas à Bangkok8 en Thaïlande !
Les produits et les recettes pour intégrer la spiruline dans nos menus se développent et l’on pourra bientôt cultiver sa spiruline chez soi grâce aux phytotières de George Garcia9 !
Nous avons recroisé la spiruline à plusieurs reprises lors de notre voyage, dans les laboratoires du monde entier et sur le terrain dans des entreprises. Les systèmes de cultures sont variés, des bassins de production à grande échelle avec roues à aube aux photobioréacteurs les plus perfectionnés pour des applications en alimentation ou en biotechnologie.
Il semblerait que la spiruline réserve encore bien d’autres surprises : au CSMCRI en Inde par exemple, le Dr. Mishra m’avait présenté ses travaux sur les bioplastiques et la bioremédiation des métaux lourds entre autres. Nous reviendrons bientôt sur ces notions compliquées !
Entre autres innovations! A mon retour en Bretagne, j’ai été surprise de trouver de la spiruline dans un élevage de porc ! La spiruline était cultivée commercialement pour valoriser le CO2 et la chaleur émis par l’unité de méthanisation de la ferme ! La spiruline n’aurait pas fini de nous surprendre et nous aurons l’occasion d’en reparler.
La spiruline n’est pas le seul groupe d’algues bleues que nous ayons rencontré sur la route. Nous en avons vu qui n’avaient ni l’apparence, ni la couleur de la spiruline… elles ressemblaient à des cailloux ! Rendez-vous bientôt au chapitre Stromatolithes ! L’exploration continue !
En savoir plus
Quelques références bibliographiques et liens pour aller plus loin :
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Viadlo, 2008. Spiruline. L’algue bleue de santé et de prévention. Editions du Dauphin.
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Habib, M.A.B, Parvin, M., Huntington, T.C. and Hasan, M.R. 2008. A review on culture, production and use of spirulina as food for humans and feeds for domestic animals and fish. FAO Fisheries and Aquaculture circular. No. 1034.
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Henrikson, R. 2009. Earth Food Spirulina: How This Remarkable Blue–Green Algae Can Transform Your Health and Our Planet. Ronore Enterprises. Inc., Hana.
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Un film de 1989 du Dr. Ripley D. Fox sur les systèmes de production intégrée au Togo.
Notes du texte :
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Le genre est un rang dans la classification biologique des organismes vivants et fossiles. Un genre regroupe plusieurs espèces ayant des caractéristiques similaires (voir la fiche sur Wikipedia) ↩
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Arthrospira platensis et A. maxima sont les espèces de spiruline les plus représentées. (FAO, 2008) ↩
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Arthrospira platensis var lonar a été découverte dans le lac Lonar, un lac formé dans un cratère d’origine météoritique en Inde. (Fox, R. D. 1996. Spirulina: Production & Potential. Edisud.) Fascinant, n’est ce pas ? ↩
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Vous avez oublié ce que planctonique veut dire ? C’est ici ↩
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Dans les cellules des eucaryotes, l’ADN est contenu dans un noyau et les différentes structures spécialisées de la cellule (appelés organites) sont délimitées par une membrane (phospholipidique pour être précis !). Chez les procaryotes, il n’y a ni noyau, ni organites membranés. ↩
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Cyanobactérie: ce nom provient du fait que ces microorganismes possèdent un pigment bleu en forte proportion : la phycocyanine (phyco- : algue ; cyan : bleu). Elles possèdent également un pigment rouge, la phycoérythrine. Dans certaines conditions, ces pigments peuvent masquer la couleur verte de la chlorophylle. ↩
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Chaque friandise à la spiruline apporte l’équivalent de 0,5g de spiruline et représente un apport de 12,6Kcal (Protéines : 0,21g ; glucides : 2,95 g ; lipides : traces ; fer : 0,15mg ; ß-carotène : 1,3mg) (source : Antenna Nutritech Foundation). ↩
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Découvrez les fermes urbaines d’EnerGaia à Bangkok en Thailande: la spiruline est cultivée sur les toits ↩
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En savoir plus sur La Voie bleue et les phytotières de George Garcia ↩