Stromatolithes
Parfois les scientifiques nous disent des choses bien difficiles à croire. Je me méfie des calculs compliqués et des graphes ennuyeux enrobés de jargon fleuri. Je déteste être manipulée, il faut que je comprenne ! Ce n’est pas sans effort : j’insiste, je leur demande de répéter, de schématiser, jusqu’à ce que ça ait du sens. Mais parfois ces démonstrations scientifiques me forcent à remettre en question certaines de mes certitudes… Pas évident !
Tenez, l’histoire des algues qui seraient à l’origine de l’établissement de la couche d’ozone par exemple : j’avais vécu jusque là avec une autre histoire de l’origine du monde qui me convenait bien. Il m’a fallu un peu de temps pour digérer les sujets touchant à l’Evolution et céder à la fascination. Je me suis engagée à vous raconter mes découvertes, même celles qui m’ont coûté des noeuds au cerveau. Aujourd’hui je vous parle de stromatolithes, des cailloux pas comme les autres !
Sur la route
Lors de notre passage en Australie occidentale, après une visite à Port Gregory et la découverte d’un lac rose1, nous roulons tranquillement le long de l’Indian Ocean Drive pour retourner en direction de Perth.
La route est magnifique le long du littoral. Pas besoin de GPS, Perth c’est tout droit ! Tout à coup, Anne-Gaëlle prend un virage serré à gauche et s’engage dans une route de traverse. J’ai tout d’abord cru à une attaque de kangourous mais c’était en fait un détour pour aller voir des cailloux. Un lac avec des gros cailloux dedans pour être tout à fait exacte.
Nous nous tenons au bord du lac Thetis. Ma foi, nous sommes tranquilles, à part quelques cormorans, le lieu est désert. Mais le sentier est bien aménagé, il semble que ce soit un lieu de visite. Lieu de culte ou lac sacré ?
“Jacqueline Algane : Alors, qu’est ce qu’on fait maintenant ?
- Anne-Gaëlle: On se recueille…
- Jacqueline : Pardon ?”
Avec un grand sourire, Anne-Gaëlle me rappelle mon scepticisme au début du voyage lorsque le Dr Sahoo m’avait expliqué le rôle des algues dans l’établissement de l’atmosphère il y a des milliards d’années.
“Anne-Gaëlle : Jacqueline, tu te rappelles ? Tu te demandais qui étaient les témoins de l’époque. Eh bien j’ai le grand plaisir de te les présenter ici même !
- Jacqueline : Les cormorans ?!
- Anne-Gaëlle : Non, les cailloux !”
Des cailloux. Le soleil cogne dur dans la région, Anne-Gaëlle a peut-être pris un coup de chaud.
Je m’inquièterais bien un peu mais elle a l’air d’aller bien, elle s’enthousiasme comme pour un concert de rock (c’est le cas de le dire).
Je la laisse à ses pogos et je me tourne vers les panneaux explicatifs du site.
Comment naissent les stromatolithes
Ces gros cailloux sont des stromatolithes. Le mot vient du grec strôma, tapis et de lithos, pierre.
Les stromatolithes du lac Thetis
D’après les informations sous mes yeux, les stromatolithes sont des structures d’origine biogénique (c’est à dire résultant de l’activité d’un organisme vivant) et sédimentaire. Ce sont des formations faites à la fois de matière vivante (des bactéries et des cyanobactéries2) et de calcaire.
Les stromatolithes ne sont pas vivants en soit : seule la couche de surface est vivante. Cette couche fragile de microorganismes est responsable de la précipitation de sédiments.
Ces organismes vivants sont des colonies de cyanobactéries : en se développant, elles sécrètent un film collant de mucus qui piège des particules en suspension. D’autres bactéries présentes dans ces communautés peuvent précipiter le calcium en calcaire.
Cela conduit à la formation d’une couche sédimentaire qui persiste après la mort de ces microorganismes : elles laissent derrière elles un matériau dur composé de roche et de sable. Sous le tapis vivant des bactéries, les couches de roche continuent à augmenter tant que les bactéries continuent à vivre, à se reproduire et à croître au-dessus des populations précédentes. Petit à petit, au fil du développement en couches successives (strates), les feuillets minéraux forment les stromatolites. Leur croissance est très lente.
Selon leur forme, une distinction peut être faite entre stromatolithes et thrombolites.
Stromatolithes & Thrombolites
Des fossiles vivants ?
Des stromatolithes fossiles ont été retrouvées dans des roches de plusieurs régions du monde. Identifiés grâce à leur structure caractéristique en feuillets, les méthodes de datation modernes3 ont permis d’évaluer leur âge. Une étude scientifique récente de 20164 a mis en évidence un fossile de stromatolithe provenant du Groenland5 et datant de 3,7 milliards d’années ce qui en fait à ce jour une des traces de vie les plus anciennes à la surface de la Terre6 ! Celui-ci bat le record précédent établi par un stromatolithe de 200 millions d’années plus jeune identifié dans la région de Pilbarra en Australie Occidentale.
Les microorganismes qui construisent les stromatolithes actuels sont des espèces de cyanobactéries similaires à celles d’il y a 3,7 milliards d’années. C’est pour cela qu’il sont parfois décrits comme des fossiles vivants.
Le panneau du lac Thétis et la légende aborigène
3,7 milliards d’années… rendez-vous compte, il y a de quoi relativiser sur notre existence !
Mais ce n’est pas tout ! La découverte de ces exemples modernes a aidé les scientifiques à comprendre l’importance de ces micro-organismes dans l’environnement et à démêler la longue histoire de la vie sur Terre. De quoi relativiser sur notre rôle aussi…
Des cyanobactéries fondamentales
Les cyanobactéries ont joué un rôle fondamental pour l’évolution de la vie. Je vous en donne les grandes lignes (mais l’histoire de la Terre, digne des plus beaux scénarios hollywoodiens, mérite que l’on s’y penche davantage7):
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Les cyanobactéries seraient apparues dans les océans il y a 3,7 milliards d’années. Comme elles ont eu l’idée géniale d’inventer la photosynthèse, elles ont fixé du carbone et également rejeté un déchet, le dioxygène.
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Cet oxygène a tout d’abord oxydé le fer présent dans les océans. Cela a formé des oxydes de fer (hématites, magnétites) qui ont précipité et se sont accumulés au fond des mers, dans les roches.
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Au bout de quelque temps (plus d’un milliard d’années quand même), tout le fer est oxydé. Après épuisement du fer marin, le dioxygène se répand de l’océan à l’atmosphère (à une époque où l’atmosphère terrestre était hostile à la vie!).
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La prolifération et la dominance des cyanobactéries entraîne l’augmentation de la teneur en oxygène dans l’atmosphère et l’établissement de la couche d’ozone (dû à l’action des UV du rayonnement solaire, sur les molécules de dioxygène à haute altitude). La couche d’ozone renvoie les rayons solaires. En absorbant une grande partie des rayonnements ultraviolets, les conditions à la surface de la Terre deviennent plus favorables au développement d’autres formes de vie8. Au gré des mutations génétiques, l’Evolution conduit à l’émergence d’organismes adaptés à ces conditions de vie et à l’accroissement de la biodiversité !
Finalement, ces cyanobactéries ont modifié leur environnement en “polluant” la Terre d’oxygène pendant près de 2 milliards d’années ! Et je leur dois ma présence au bord du Lac Thétis.
Dans le passé, ces cyanobactéries ont été responsables de la capture de carbone et de calcium dans les roches (on parle aussi de séquestration car le carbone et le calcium sont ainsi coincés dans la roche et ne peuvent s’échapper !). Malgré leur croissance lente, elles sont aussi à l’origine de massifs rocheux importants.
Aujourd’hui, les exemples vivants de ces organismes autrefois complètement dominants sont limités à quelques endroits seulement, en Australie, en Egypte, en Afrique du Sud, aux Bahamas, au Brésil entre autres.
Stromatolithes tranquillou, similaires à ceux ayant transformé la planète il y a près de 3 milliards d’années
Pélerinage
Les stromatolites du lac Thétis ont environ 3370 ans. Il va me falloir un peu de temps pour digérer toutes ces informations. Adam et Eve ont une image un peu plus sexy que ces stromatolithes mais le côté “force tranquille” de ces derniers leur donne finalement beaucoup de classe !
Je ne m’attendais pas à un tel pélerinage. Je resterais bien là au calme plus longtemps pour regarder pousser les cailloux et déconstruire mes certitudes, mais les conditions environnementales et la peau sensible d’Anne-Gaëlle nous poussent à nous mettre à l’abri des rayons UV !
Tiens, en parlant de protection aux rayons UV, certains algonautes travaillent sur des molécules de macroalgues aux propriétés photoprotectrices ! Un beau résultat de l’adaptation des organismes et de l’Evolution !
En savoir plus
Une tempête approchant, on nous a recommandé de retourner vers le sud. Nous n’avons donc pas pu nous rendre un peu plus au nord à Shark Bay, où se trouve une colonie de stromatolithes célèbre et spectaculaire !
Notes :
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Le lac Rose : oui, alors ça aussi, il a fallu que Jacqueline le voit pour le croire… A suivre dans une autre histoire ! Quelques indice en jetant un coup d’oeil ici ↩
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Si vous ne vous rappeler pas ce qu’est une cyanobactérie, ne soyez pas paresseux et retournez au chapitre précédent ! ↩
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Datation s’appuyant sur la mesure d’atomes dans ces échantillons ↩
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Nutman, A. P., Bennett, V. C., Friend, C. R., Van Kranendonk, M. J., & Chivas, A. R. (2016). Rapid emergence of life shown by discovery of 3,700-million-year-old microbial structures. Nature, 537(7621), 535-538. Lien ↩
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Cette découverte a été faite dans une région où les roches ont été mises à jour à cause de la fonte des glaces, conséquence du réchauffement climatique ! ↩
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Une trace de vie encore plus ancienne ? Un article du New York Times du 1er mars 2017. ↩
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Jetez un coup d’oeil à ces documentaires synthétiques sur l’histoire de la Terre, c’est fascinant ! (Ici par exemple) ! ↩
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L’ADN, molécule support de l’information génétique, est sensible aux rayons ultraviolets. Ce sont des agents mutagènes : ils détériorent l’ADN des cellules, ce qui entraîne des déréglements de leurs activités biologiques, susceptibles d’évoluer en cancer, ou leur destruction (coup de soleil). ↩